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Rythmer des mots pour contrer les maux

Ecrire pour ne pas trop penser tout bas

Lettre à mon père

Lettre à mon père

LETTRE A MON PÈRE

 

Nous y voilà Papa.

Le gong de la fin du combat a bel et bien sonné. Tu peux maintenant te reposer en paix de cette épreuve surhumaine. Il faut dire que tu lui as foutu une belle raclée à cette maladie. Elle a cru t’emporter sans que tu ne rechignes. C’était mal te connaître. A n’en pas douter, elle s’est trompée. L’ignorante. Elle ne savait pas à qui elle se frottait, toi, le boxeur aux yeux pâles. Je te revoie encore sur ce lit d’hôpital, les points serrés à nous demander du « mou ». « Donnez-moi du mou », « donnez-moi du mou » avant de repartir je ne sais où dans un univers qui m’était étranger. Je n’ai pas compris sur le coup ce que signifiait cette impératif qui te semblait pourtant vital.

Maladroitement, nous tentions avec maman de te garder allongé comme s'il fallait impérativement que tu patientes sagement l’arrivée de la mort. Toi, tu nous demandais du mou pour repartir à l’assaut. Retourner au combat. Affronter la mort avec force et vigueur. Tu nous demandais du lest pour te rapprocher au plus prêt d’elle, lui asséner un uppercut pour la repousser dans les cordes. Tu as serré les poings, tu les as mis en garde et tu as laissé échapper avec détermination : « je suis plus fort qu’elle ». Alors que tu semblais épuisé, que le simple fait de respirer te demandait un effort insensé, je t’ai dit « tu veux te battre, alors débrouille-toi, lève-toi et lutte ».

Tu es allé chercher une énergie dont personne ne pouvait imaginer qu’elle existait encore en toi. Tu t’es redressé. Tu t’es mis debout, le regard fixé sur la porte de la chambre comme en d’autres temps, tu fixais la porte de la salle qui te conduisait au carré du ring. Déterminé. Le regard figé, comparable au portrait noir et blanc de ce boxeur âgé de 20 ans qui trônait au pied de mon lit d’enfant. Mon héros était incarné devant moi en mouvement. J’ai tout juste eu le temps de mettre tes chaussons et nous sommes allés au pas de course dans le couloir du deuxième étage. Tu allais à une vitesse folle . Je t’ai demandé de ralentir car je n’arrivais à suivre le tempo d’une partition que tu avais choisi de nous imposer. J’étais essoufflé et je m’en suis plains. Tu as ri. Tu as ri parce que tu savais que cette course infernale devait te permettre d’échapper à la mort et de survivre encore un peu. Alors, on s’est pris au jeu comme au bon vieux temps, celui de la période des ultra-trails, années de nos retrouvailles et d’une complicité intense et éphémère. A la différence prêt, c’est que Mathieu n’était pas à tes côtés cette foi-ci, c’est à moi que revenait le rôle de t’assister pour avancer.

Toujours.

Toujours plus loin.

Toujours plus haut.

A chaque croisement, on faisait semblant d’arriver à un ravitaillement. Une petite halte devenue nécessaire pour reprendre ton souffle, souffle qui portant ne t’avait jamais manqué quand il s’agissait de l’expulser dans ta trompette. Je te demandais ce que tu voulais manger ou boire. Tu riais encore mais très sérieusement, tu demandais à reprendre quelques fruits secs, après quoi, nous repartions. Au bout du couloir, tu t’es retourné à plusieurs reprises comme paniqué par l’idée de te faire rattraper, de te faire voler ta place et le temps précieux qu’il te restait. Je sais ce que tu cherchais dans tes pas. Je sais qui tu voulais semer. Je ne voulais pas penser à cet adversaire là et pourtant, la mort avait remplacé ton ombre et elle te suivait à la trace. Je t’ai dit « t’inquiète pas Papa, tu es en tête de la course, plus personne ne pourra te rattraper maintenant, la course est faite, profite des derniers mètres ». J’ai vu dans ton regard, dans ce livre ouvert sur ton âme dont j’avais appris à lire entre les lignes, ton bonheur, ton bonheur de lutter, ton bonheur de combattre, toujours debout, fier et comblé de l’ivresse propre à la victoire. Alors devant la porte 215, en signe de consécration, on a levé les bras ensemble en coupant le bandeau d’arrivée, privilège des grands sportifs dont tu faisais parti. Débordant d’émotions, la gorge nouée, j’ai pu te dire : « Tu es mon champion Papa, je t’aime ».

On s’est enlacé tendrement, puissamment, une étreinte pure, le poids d’une vie dans mes bras et toute sa fragilité.

On s’est mis à pleurer à chaudes larmes.

Des larmes d’argent.

Des larmes précieuses pour un enfant.

Des larmes sacrées pour un père.

Enfin, nous en étions là. Enfin, tu étais dans mes bras. Enfin, tu m’aimais. Le voile de ta pudeur venait de tomber tout comme le dernier espoir d’une guérison. Je n’entendrai plus jamais venant de toi, le mot « Mon fils ». Je n’aurai plus personne à appeler Papa.

Voilà qui était mon Père. Il était un homme bon, altruiste, bienveillant envers ses amis. Dans cette course folle, je lui demandais, possédant la réponse, d’où lui venait ce cœur monstrueusement généreux dont certains avaient abusés sans scrupule mais dont il excusait toujours la faiblesse. « De ma mère » m’avait-il répondu sans l’ombre d’une hésitation. Évidemment la foi chrétienne de mon père en l’Amour de l’autre venait de ma grand-mère paternelle. Là où tu es Papa, elle doit certainement à son tour t’étreindre, pleurer à la joie de te revoir, en exprimant toute sa fierté de ce que tu as été.

Notre défi « Sang pour sang », Papa, dont tu m’avais inspiré le chemin se referme aujourd’hui.

Tu n’es plus confiné dans ce corps malade dont tu t’interdisais de sortir.

Tu as rompu le lien pour vivre l’esprit libre.

Vol Papa. Vol. Je te laisse prendre de l’avance. Seul. Devant. Merci pour ce dernier regard et bon voyage vers l’orient éternel.

Un fils

08 04 2020

 

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